2016, le Monde arabe se réveille !


Ils sont cinq pays majeurs qui remettront le Monde arabe sur ses pieds, c’est l’avis d’un des meilleurs experts des questions liées à cette région du monde, Nasser Kandil. Mais actuellement, trois d’entre eux souffrent le martyre, le quatrième saigne et le cinquième renforce au maximum sa sécurité. Cependant, 2016 semble être l’année qui les mettra sur le devant de la scène pour impulser un nouveau mouvement historique qui permettra de réintégrer le Monde Arabe dans l’histoire. Il ne pourra en être autrement car le vide qui se constitue pour ces pays dans leur région est générateur d’un mouvement de désintégration.

Par M.C.Belamine

A première vue, en arriver à ce constat ressemblerait plus à une vue de l’esprit lorsque l’on observe l’état de dévastation des différentes sociétés de ces pays confrontés à des défis quasi-insurmontables. Pourtant, la réalité est tout autre. L’analyse objective doit prendre en compte plusieurs paramètres liés à l’environnement mondial, aux rapports de force réels, aux perspectives économiques et, prioritairement, aux attentes des populations, c’est-à-dire au facteur humain qui est décisif.

Monde arabe agenda
État du Monde Arabe en 2015

Le chaos Moyen oriental

La Syrie, l’Irak et le Yémen font face à une puissante force déstabilisatrice qui a convaincu la majorité des pays de mettre leur poids dans la balance pour les faire basculer dans le camp auquel ils s’opposent traditionnellement. Leur résistance leur coûte une guerre qui n’en finit pas. En Syrie, la résistance s’incarne en son président Bachar Al Assad diabolisé et attaqué par tous les alliés, conscients ou inconscients, du projet américano-sioniste. L’opposition au président syrien a pris toutes les « couleurs » et toutes les formes. D’un semblant de combat démocratique à une apparence de combat islamique. L’immense majorité des média occidentaux et arabes ont raconté une histoire qui ne correspondait à aucune réalité. La technique du story telling a prévalu pour établir des comptes rendus hypothétiques racontant un roman épique qui mettait en opposition le bien, en réalité toutes les forces destructrices, face au mal, qu’incarnaient toutes les forces de la résistance. Cependant la réalité a rattrapé la fiction et le calvaire syrien arrive très bientôt à son terme.

Arabes, les dominos tombentAinsi, l’année en cours devrait clore définitivement le chapitre syrien pour faire de ce pays le faiseur de rois, comme il l’a été à travers l’histoire des civilisations humaines. Situé à la confluence de trois continents, la Syrie est la porte de l’Afrique, de l’Asie et de l’Europe, le centre de domination de l’est méditerranéen. C’est à partir de cet espace essentiel, véritable verrou eurasiatique, que se construit le destin du monde. Son basculement vers un projet ou un autre détermine l’avenir de l’Asie et de l’Europe. La profondeur stratégique de la Syrie est double. D’abord plus au nord en Palestine mais la continuité géographique vers l’Est du pays, en Irak, peut compenser ses difficultés au nord dans une stratégie plus vaste de ceinture « protectrice ». Les liens stratégiques avec l’Iran fondés par feu le père de l’actuel président permettent aujourd’hui de réintroduire la Syrie dans le concert des nations qui comptent à l’échelle mondiale.

Syrie, maisons détruitesEn Irak, le pays martyr victime d’une des plus féroces agressions de l’histoire de l’humanité, la convalescence est en marche. Deux guerres directes menées contre ce peuple sous le parapluie de l’ONU ou de la « légalité internationale », à géométrie variable, par les forces américano-britanniques et une troisième guerre, dite de quatrième génération, en utilisant des mercenaires « s’habillant » d’un semblant de discours « islamique », dit radical, ont épuisé sa population. Pourtant, le peuple irakien n’a pas abandonné la bataille de l’honneur et de la nation. Il tourne progressivement la page de l’emprise totale américaine pour commencer à se reconstruire en mettant en place un début de front intérieur, adopté par la majorité des communautés nationales, devenu imperméable au discours confessionnel financé par les Al saoud et pris en charge par les néo-ottomans.

Au Yémen, un mouvement populaire ancré d’abord chez les houthis, adversaires historiques des Al Saoud, a fait tache d’huile. Quelles que soient leurs convictions politiques, toutes les composantes de la société yéménite sont d’abord liées par le destin de leur pays. Or, le Yémen c’est d’abord le détroit de Bab El Mandeb lié « organiquement » au canal de Suez. Le destin du Yémen s’écrit avec celui de l’Egypte, il était cependant accaparé par les Al Saoud, occupant sanguinaire de la presqu’ile arabique. Et dans l’affrontement qui oppose les Etats Unis et son axe au duo syro-iranien soutenu par la Russie, le Yémen a été le front ultime ouvert pour obliger l’adversaire à baisser sa garde en Syrie et en Ukraine. Cependant, le peuple yéménite finira par se débarrasser des envahisseurs grâce à l’influence qu’impulse la puissance pacificatrice et équilibrante de l’Iran. Le retour de la Russie et de la chine sur les rives de la Méditerranée permettra également aux trois pays (Syrie, Irak et Yémen) d’affirmer encore plus fort leur souveraineté.

La complexité égyptienne

Pour le duo algéro-égyptien, 2016 devrait être chaud. Les deux pays sont victimes d’une tentative d’encerclement pour essayer de les affaiblir. Les deux frontières Est et Ouest de l’Égypte sont enflammées, le Sud reste problématique avec un Soudan très fragile et surtout sous très forte influence saoudienne. Et, tandis que toutes les frontières algériennes restent très surveillées, les groupes terroristes sont très actifs attendant la moindre ouverture pour pouvoir agir, ou peut-être l’ordre de mise en route…

Egypte Un sphinx de l'exposition osiris mysteres engloutis IMA 7 septembre ParisL’Égypte, victime de forces internes contraires, est tributaire de sa fragilité socio-économique qui empêche sa nouvelle direction d’affirmer une souveraineté trop longtemps mise entre parenthèses par sa docilité à son parrain US. La fin de l’ère nassérienne au début des années soixante-dix, sorte de « welfare state » également vécu comme tel en Syrie, en Libye et en Algérie, a plongé l’Égypte dans des compromissions contre nature depuis les très fameux accords de Camp David que la direction de l’époque espérait prometteuse de richesse et de bien-être. La page soviétique a été tournée mais également et surtout la page du panarabisme social porteuse d’espoir.

Le vent du changement voulu depuis très longtemps par une population victime des travers de sa direction politique et de la faiblesse de l’économie égyptienne l’a conduite à se jeter dans les bras de la confrérie des Frères Musulmans avant de se rebiffer. Le contexte de pauvreté de la société la fragilise et ne permet pas à ses dirigeants d’adopter une posture très claire pour rompre définitivement avec les errements politiques de Sadate et de Moubarek. L’actuelle direction hésite à se prononcer sur des choix clairs en sachant la difficulté de maintenir une ligne directrice indépendante. La main mise saoudienne et l’opposition turque place les dirigeants égyptiens entre le marteau du wahhabisme et l’enclume des frères musulmans. L’entité sioniste étant « l’étouffoir » des aspirations égyptiennes. Une Égypte presque « pieds et poings » liés par des accords « scélérats ».

Monde arabe dettes
Dette/PIB par pays

Par quelle « fenêtre » d’opportunité l’ancien « ogre » du Monde Arabe peut-il revivre une révolution libératrice ? Sa seule chance de survie, et pour relever la tête, se trouve à l’Ouest, sur son front très fragile lié aux turbulences libyennes. La Libye de Kadhafi était source de revenu d’une partie de la population égyptienne mais également d’absorption d’une main d’œuvre quasi désœuvrée, car sans perspective économique stable, dans une Égypte fragile au plan économique. Une stabilité retrouvée de la Libye pourrait permettre à l’Égypte de s’affranchir définitivement du poids de ses contradictions internes et externes. Elle lui permettrait d’assumer à nouveau son rôle de « grand frère » arabe et de leader d’opinion en se réappropriant également la question palestinienne, élément unificateur, qu’elle a délaissée depuis trop longtemps.

Le basculement algérien

La seule condition d’une reprise de vitalité en Algérie est que la boussole révolutionnaire, qui permette de redonner du souffle à la vitalité du monde arabe, reste la question palestinienne. La seule révolution non encore aboutie, qui ressemble totalement à celle qui a libéré l’Algérie mais ne lui a pas permis de la transformer en révolution interne libératrice. L’Algérie a besoin de se « réinsuffler » de l’esprit de résistance palestinien pour compléter sa révolution interrompue en 1965. Elle a besoin de redonner une dynamique à son mouvement interne handicapé par des conflits de pouvoir ou d’égo. La question n’est pas liée qu’à des hommes ou à des organisations politiques mais au mouvement de l’histoire qui s’écrit selon une réalité temporelle indépassable.

Algérie coupe du mondeTout récemment est décédé un des derniers chefs historiques algériens de la résistance à l’occupation, celui qui aurait pu avoir la stature de grand Chef d’État, Hocine Aït Ahmed. Il n’a pu l’être car le problème algérien est éminemment culturel. Il reste lié à des considérations tribales qui supplantent souvent les choix des personnalités politiques de premier plan qui ne savent pas, au moment historique, élever le débat au-dessus de toute autre considération. Or, tout le débat politique en Algérie tourne autour de questions politiciennes ou, souvent, de vendettas personnelles. Le seul homme d’état algérien à avoir pu se positionner au-dessus de la mêlée est sans conteste l’actuel président Bouteflika qui a su jouer le rôle de rassembleur en étant celui qui introduit la perspective d’une société en paix avec elle-même, bannissant l’idée même de vengeance d’une partie de sa population.

Ceux qui connaissent la culture algérienne et l’importance du « nif », cet honneur essentiel porteur de dignité, il était quasi surhumain de faire admettre l’idée de réconciliation. Sa maladie ternit la fin de son mandat mais n’a pas été celle qui aurait pu faire imploser les équilibres internes. C’est dire le poids de son action sur le plan psychologique. L’importance de la préservation du front interne, permet à l’Algérie de solidifier ses défenses et de se restructurer pour aborder les phases futures qui lui permettront de se déployer sur sa profondeur africaine mais également arabe en étant le pivot du poids que devrait avoir l’espace maghrébin.

Globalement, le positionnement algérien a toujours été masqué par des enjeux internes. Les récents événements qui ont fait sortir de ses gonds l’ancien patron des services de renseignements militaires algérien marque un tournant historique décisif sur le futur du pays. Les lignes de fracture apparaissent au grand jour laissant présager un basculement définitif du pays en tant que puissance régionale alliée des BRICS qui influera sur l’avenir du sud-ouest de la Méditerranée, l’autre place forte de cette mer. Cela devrait passer obligatoirement par un rapprochement historique avec l’Égypte pour « pacifier » la Libye.

Cela ne signifie pas pour les algériens que 2016 sera de tout repos, bien au contraire, ils doivent très probablement s’attendre à de très fortes secousses car après la perte du verrou eurasiatique en Syrie, l’axe atlanto-sioniste se concentrera essentiellement sur l’Algérie, le verrou africain cœur de l’ouest méditerranéen, en ayant déjà mandaté la France atlantiste pour en être la tête de pont. Or, la tentative d’encerclement du pays, autre forme de « containment » par la création de feux à toutes ses frontières oblige les algériens à prendre les devants. C’est la raison qui obligera l’Algérie à s’impliquer fortement en Libye avant que le feu ne l’atteigne. C’est le prix à payer pour ne pas devenir le marchepied de la conquête de l’Afrique, devenu l’objectif essentiel de l’Empire après sa perte de l’Asie et le poids de la Russie dans l’est méditerranéen, supplantant les États Unis.

La fin d’une histoire cahotante

2016, c’est le « commencement de la fin » des dernières ambitions sionistes, qu’elles aient la couleur ottomane, sous le manteau des frères musulmans, judéo-talmudiste ou saoudienne, de « confession » wahhabite, les trois liés par une idéologie bâtie sur l’exclusion de l’autre. Elle marquera à n’en pas douter le début d’une autre histoire, celle des peuples du Monde Arabe qui veulent se débarrasser des choix imposées par des capitales qui ne sont pas les leurs. La résistance des peuples syrien, irakien, yéménite, égyptien et algérien, chacun à sa façon, permettra de renforcer ses élites dirigeantes dans les choix vitaux qu’elles empruntent. Le mouvement de l’histoire s’accélère, rien ne peut arrêter sa marche. Les forces montantes ont toujours imposé une lecture autre du destin du monde par leur propre volonté « construite » sur d’énormes sacrifices.

Monde Arabe IndépendancesLe sacrifice d’un autre peuple, géographiquement et historiquement, proche du Monde Arabe, le peuple iranien, pendant plus de trois décennies, est une bénédiction pour les peuples arabes qui lui ressemblent. Il a montré, après des années d’embargo et de guerres vicieuses sur les plans économique, politique, sécuritaire, sociale et médiatique, le chemin à suivre sans perdre son âme en compromissions. Il a continué à soutenir tous les peuples agressés par les États Unis et ses pions régionaux et internationaux. Le dénominateur commun des peuples des cinq pays arabes et du peuple iranien est leur opposition frontale et profonde aux ambitions américano-sionistes. Les six peuples en question partagent la même détestation des élites ottomane, sioniste et wahhabite unis dans tous les sales coups portés aux peuples du monde arabe. En cela, leur combat se rejoint car ils luttent pour leur indépendance et ont tous opté pour le choix de la souveraineté et de la liberté.

M.C.B